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À l'ONU, la religion grignote les droits des femmes
Arnaud Bihel - Vendredi, 14 janvier 2011


Alerte à la montée des revendications religieuses à l'ONU. Depuis une dizaine d'années, des menaces sur les droits des femmes et la laïcité se font plus pesantes dans les textes des Nations Unies. Alors que le rapport de forces évolue, des militantes dénoncent la politique de l'autruche menée par les pays occidentaux, et notamment par la France.

Les droits des femmes et laïcité malmenés dans les couloirs de l'ONU ? C'est une thèse que soulevait en 2008 Malka Marcovich dans son pamphlet "Les Nations DésUnies". Invitée par la CLEF (Coordination du lobby européen des femmes) en ce début d'année à répondre à la question « Où l'ONU mène-t-elle les femmes ? », l'historienne et militante féministe et laïque ne change rien à son regard critique... et « radical », assume-t-elle.
La mise en route le 1er janvier dernier de l'institution "ONU Femmes", qui vient regrouper 4 anciennes structures dispersées, ne marque-t-elle pas une avancée ? On en verra un premier témoignage en février, quand l'ONU Femmes dirigera pour la première fois la réunion annuelle de la Commission de la condition de la femme. Pour la CLEF, il y a lieu d'espérer. Symboliquement, en terme de visibilité et au vu de la personnalité de sa présidente Michelle Bachelet, ce n'est en effet pas anodin, juge Malka Marcovich. Mais pour l'historienne le scepticisme l'emporte.

Régression rampante

Car, depuis une dizaine d'années, les observatrices constatent une « régression rampante » des droits des femmes au sein des Nations Unies. Malka Marcovich voit dans l'élection de l'Arabie Saoudite parmi les 47 membres du bureau d'ONU Femmes un signe supplémentaire de cette évolution. Un renoncement des pays occidentaux face aux offensives religieuses et aux atteintes à la laïcité. Et un rôle de plus en plus prégnant de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), seul groupe d'influence onusien à caractère religieux assumé, qui regroupe 57 états membres. Sans négliger, signale Malka Marcovich, le renforcement de l'influence orthodoxe en Russie ou en Ukraine, ni le poids croissant des Eglises en Amérique du Sud.
Sophie Del Corso, représentante du service des droits des femmes du gouvernement, rejoint ce constat : « Il est vrai que les choses sont de plus en plus difficiles ; il y a effectivement une montée en puissance de la concurrence islamique, de plus en plus désinhibée pour valoriser le relativisme culturel. » Un relativisme qui s'impose, par petites touches, dans les textes fondamentaux des Nations Unies.
Exemple de ce recul : le retour du concept de « prostitution forcée ». Jusqu'en 1993, le terme « forcée » n'était mentionné dans aucun texte onusien, afin que la charge de la preuve ne pèse pas sur les prostituées, explique Malka Marcovich. « Qui a fait réapparaitre le contexte de prostitution forcée ? C'est l'Egypte, pour pouvoir criminaliser les femmes ».

Polygamie en Gucci contre vieux croûtons

Pour Olga Trostiansky, présidente de la CLEF, la France doit élever la voix, et « assumer son rôle de tête de file des droits des femmes ». Elle appelle Paris à prendre la tête d'une campagne pour la levée de toutes les réserves des Etats qui concernent la convention CEDAW sur l'élimination des discriminations à l'égard des femmes, « sorte de déclaration universelle des droits des femmes ». Cette convention établie par les Nations Unies en 1979 est aujourd'hui la plus ratifiée dans le monde. Mais c'est aussi la convention qui rencontre le plus de réserve de la part des Etats, « ce qui la vide de tout son sens », déplore Malka Marcovich. Et d'ajouter : « Les deux tiers des pays de la francophonie sont des pays qui maintiennent des réserves. Et que fait la France ? Elle ne dit rien. »
Autre démission m: « Ces deux dernières années, contrairement aux autres pays, l'Etat français n'a pas envoyé un ministre ou secrétaire d'Etat à la Commission de la condition de la femme », s'indigne Olga Trostiansky.
En cause, cette politique de l'autruche, mais aussi une incapacité à répondre au discours religieux. Malka Marcovich enfonce le clou : « Quand on voit, pour représenter le Bahreïn au Conseil des droits de l'Homme, plusieurs jeunes femmes tout à fait ravissantes, sac Gucci, chaussures Dior, voilées, et qui font l'apologie de la polygamie pour lutter contre la prostitution, et que du côté français on retrouve - excusez-moi - ce que j'appelle quelques vieux croûtons du Quai d'Orsay qui ne savent pas défendre les droits des femmes, on a le sentiment que la modernité est du côté de ces femmes qui défendent la polygamie ».

La controverse Durban

Sophie Del Corso défend la diplomatie en coulisses menée par Paris. Et préfère pointer du doigt un problème liée à la cacophonie européenne. « Quand on était 15, on était un bloc uni qui bénéficiait d'une certaine importance. Depuis l'élargissement à 27, il y a des pays qui, compte tenu de leur position sur l'avortement, ne font plus partie de ce bloc. Dès lors, sur certains dossiers, soit chaque Etat parle en son nom, soit l'Union européenne reste muette. »
Ou profondément divisée, comme cela a encore été le cas le mois dernier sur un sujet très controversé : la conférence de Durban. Le premier de ces rendez-vous onusiens consacrés au racisme, en 2001, puis le suivant en 2009, ont provoqué de violentes polémiques, minées par les questions religieuses - et en particulier le conflit israélo-palestinien. Le 24 décembre, l'ONU s'est prononcée à la majorité pour la tenue d'un "Durban 3" le 21 septembre prochain à New-York. Une décision malvenue, voire indécente, aux yeux de plusieurs pays occidentaux, étant donnée la proximité avec la commémoration des 10 ans des attentats du 11 septembre 2001. Etats-Unis, Canada, s'y sont opposés, suivis par 14 pays européens. Mais la France, avec 12 autres, a préféré s'abstenir.


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Dernière mise à Jour : 29 janvier, 2011