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Textes critiques
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NOIR
DESSEINs
À Nicolas Hulot
(et copie à Cécile Ostria, directrice de la Fondation Nicolat Hulot)
Parmi les lettres que vous avez reçues concernant la dernière affiche
de votre fondation, vous avez dû lire celle signée Michèle Causse
(que je replace intégralement en fin de celle-ci).
Voici le début de sa lettre :
« Y a-t-il plus pollué que la terre, l'eau, l'air ? Oui, la tête d'un
homme supposé de bonne volonté, d'un homme hélas formaté comme
tous les hommes en dépit de son action en faveur de "mère nature".
Cet homme ne voit aucun mal
à soustraire un sein (n'importe quel sein) à une femme réelle (mannequin
ou autre) et à faire sortir du mamelon de cette malheureuse
un liquide noirâtre, qui comble de subtilité, d'ailleurs inaccessible
aux passants voudrait représenter toutes les pollutions infligées
à la terre. »
Et voici ce qui m'a traversé l'esprit, ayant lu ce que Michèle Causse
vous avait écrit :
...LE PIRE, ou qui risque fort, c'est que Nicolas Hulot NE VA MÊME
PAS COMPRENDRE CE QU'ELLE LUI DIT.
Nicolas Hulot,
Non pas que je vous taxe a priori d'inintelligence, il ne s'agit pas
ici d'insultes de cour de récré. C'est tellement plus grave. Ecoutez
: Hier, Marie Trintignant a été mise en terre. Marie pleine de grâces.
Mise en terre, euphémisme convenu pour signifier que la lumière de
sa vie, qui a été cassée, a été fourrée de force dans le noir de cette
Terre que vous voulez défendre, Nicolat Hulot.
Noir désir.
Marie Trintignant est morte et pendant qu'elle mourrait, des milliers
comme elle mourraient, et depuis que je vous écris 1 femme toute les
4 secondes est morte de violence masculine ou violentée PARCE QU'ELLE
est une femme.
Noir destin.
Marie Trintignant est morte de la main d'un garçon "de bonne
volonté" qui luttait contre tout un tas de trucs avec lesquels
ont est sûrement d'accord vous et moi, mais qui lui non plus n'a "pas
compris" une chose très simple : qu'aucune femme n'est la propriété
des hommes - ne devrait l'être ni de leur regard, ni de leurs passions
(?), ni de leurs pulsions.
Nicolas Hulot, je ne suis pas non plus en train de supposer que vous
battez votre femme (si vous êtes hétérosexuel) ou que le jour
où vous serez très-fâché-très-jaloux vous allez la taper plus que
de raison au point de... oh zut j'ai tapé trop fort pardon oh pardon
Marie pleine de grâce.
Noire démence.
Ce jeune homme était bien sous tout rapport. À tous les
coups (...) il voulait sûrement, tout comme vous, défendre mère Nature.
Mais la femme qu'il aimait le plus au monde est morte, tuée
par lui. Quel est le lien ? Ou plutôt, quel est le plomb qui saute
régulièrement dans la tête des hommes ?
Et maintenant relisez la lettre de Michèle Causse et merci de "penser
en toute hâte", comme elle vous en conjure, au message qu'il
serait urgent de faire apparaître sur les murs contre la violence
SPECIFIQUE, monstrueuse, et pourtant quasi INVISIBLE, subie
par les femmes, subie même (et surtout ?) par ceux qui disent les
AIMER. Et faites immédiatement retirer cette affiche abominable
à voir et abominable dans ses sous-supposés inconscients.
Noir dessein.
Jacqueline Julien
CI-APRÈS, LETTRE INTÉGRALE DE MICHÈLE CAUSSE QUE VOUS ÊTES CENSÉ AVOIR
LUE
« À Nicolas Hulot, défenseur de la nature et de l'homme.
« Y a-t-il plus pollué que la terre, l'eau, l'air ? Oui , la tête
d'un homme supposé de bonne volonté, d'un homme hélas formaté
comme tous les hommes en dépit de son action en faveur de "mère
nature" . Cet homme ne voit aucun mal à soustraire un sein (n'importe
quel sein) à une femme réelle ( mannequin ou autre) et à faire
sortir du mamelon de cette malheureuse un liquide noirâtre, qui
comble de subtilité, d'ailleurs inaccessible aux passants voudrait
représenter toutes les pollutions infligées à la terre.
Cette affiche, justement parce qu'elle veut servir une bonne cause,
met en relief l'extrême aliénation des hommes qui doivent TOUJOURS
recourir à "la" femme quand ils veulent personnifier la
nature comme s'ils n'étaient eux-mêmes un morceau de cette nature
tant défigurée. Eux-mêmes pénis et sperme, eux-mêmes et eux seuls
pollueurs de la terre. En revanche quelle belle image pour la porno
déferlante, pour tous les sadiques qui guettent une occasion de haïr
un peu plus les femmes ( les plus
démunies en particulier). Oui, Nicolas Hulot, vous avez fait ¦uvre
impie au moment même où, en toute bonne conscience, vous suiviez les
avis de vos publicitaires... enfants de ch¦ur comme chacun sait. Sans
doute la violence contre les femmes (sources de vie!) n'est-elle pas
incluse dans votre oeuvre de salut public. Il serait temps de la stigmatiser
et non de la propager.
Merci d'y penser en toute hâte. »
Michèle Causse
Réponse de la fondation Nicolas Hulot à Michèle Causse
(en noir la réponse, en rouge, les commentaires de Michèle Causse)
Objet : Campagne de la Fondation Nicolas Hulot
Madame,
Merci de votre mail et de vos remarques.
En l'absence de Nicolas Hulot, permettez-nous de répondre en son nom
et de reprendre ses propos.
Nous avons une perception bien différente du symbole du sein de la
mère nourricière. (Vous plaisantez, je pense)
Vous le voyez comme un symbole sexuel (vous
permettez ? Vous permettez que je rie un moment. Moi j'appartiens
au "genre" féminin. Je sais ce qu'est un sein. Je sais qu'on
peut l'embrasser, mais aussi le brûler avec une cigarette, le tordre,
le mordre jusqu'au sang, qu'on peut le couper et le donner à manger
aux chiens impunément (allez un moment dans un refuge pour femmes
battues et vous verrez), je sais ce qu'est un sein qu'on montre
pour appâter le chaland, un sein gros de préférence (si Lolo Ferrari
en est morte c'est parce qu'on l'avait obligée à avoir deux seins
tels que les aiment les hommes). Et vous dites que moi, femme, je
vois le sein comme un symbole sexuel et pas vous ? Vous ne regardez
pas les films (vous n'avez jamais vu un film de Fellini ?),
vous ne lisez pas les magazines, vous n'avez pas d'amant ou de mari
? Le sein est égal au pied, à l'orteil ? ... Imaginez qu'une femme
demande à un Lolo Ferraro de se faire grossir quelque testicule pour
que "les" femmes aient du plaisir à le regarder " et
qu'il en meure. Vous pensez que les journaux ne se révolteraient pas
contre l'indigne engeance féminine ? Eh bien Lolo Ferrari est l'une
des victimes nombreuses et le plus souvent anonymes du diktat masculin
qui veut faire des seins l'indispensable du plaisir. Demandez-le aux
opérées du cancer du sein. Demandez-le aux chirurgiens qui façonnent
en hâte des prothèses. La bourse ou le vit, en somme. Dans quel monde
vivez-vous ?
Nous le voyons comme le symbole de la vie, de l'enfant qui
vient de naître, déjà menacé par le monde qui l'entoure. Ah
ça, je ne vous contrarierai pas, le monde qui nous entoure est menaçant,
il suffit de regarder votre affiche, de voir quelle confiscation du
symbolique s'opère au profit d'une cause en tous points honorable
et soudain déshonorée .
À l¹image de cette mère nourricière, notre planète, notre terre,
est source de vie. Vous n'avez pas le sentiment
d'avoir entendu cette phrase mille fois et constaté qu'elle
restait sans effet ?
Malade et polluée par l'homme, elle menace la vie même de ses
enfants. Alors là, bravo, et bravo pour le "h"
d'homme, nom désignant les sujets mâles de la planète infectée, soumise
aux guerres, aux viols, aux plans sociaux, à l'horreur économique.
Eh bien justement, faites-nous voir ces hommes en train de polluer
et non un sein (d'une mère ? Où est la mère ?) d'où coule un immonde
liquide. Ce sein infectant est vue comme agissant alors qu'il
est agi. Tout comme l'anonyme invisible qui montre son sein.
D¹où le choix de ce visuel qui, mieux que tout autre, met la
vie au centre de la dégradation de notre planète. Mieux
que tout autre ? Quelle est votre agence de pub ? La vie serait
un morceau découpé de la femme sans tête ? Déjà sévit ici une aporie
qui échappe au regard du ou de la publicitaire ( ici mâles et femelles
se rejoignent, dominants et dominées unis dans le même discours,
lisez "la domination masculine " de Bourdieu
pillant les ouvrages des féministes qui l'ont précédé.)
Toucher à l'environnement, c¹est compromettre notre santé,
celle de nos enfants et de nos petits-enfants. Lapalissade
du consensus qui me trouve ô combien consentante !
L'hypothèque que nous faisons sur leur héritage est retranscrite
par cette couleur noirâtre qui souille de manière inquiétante le lait
maternel. Ainsi l'hypothèque, pauvres de nous,
serait ce lait souillé. Ne fallait-il pas le dire autrement ? Le dire
? Car rien n'est dit, un sein est montré d'où coule une sorte de pus.
Et l'on doit ("pubopti") penser à la planète. Nom d'un chien...
quel détour pour en arriver à nous protéger si gentiment !
Le sein n'est pas utilisé « à des fins de propagande publicitaire
», il n'est pas là pour jouer sur la corde "sensuelle",
en voulant réduire le corps féminin à un banal objet. Ah
bon, ce n'est pas comme d'habitude, un sein, un sein, un sein, celui-ci
n'est pas un sein jouant sur la corde sensuelle. Vous nous avez donné
le mode d'emploi ? Vous nous avez dit quoi voir et comment voir ?
Pourquoi pas une forêt incendiée par UN homme ?
C'est une image choc, oui, à la hauteur de l'autisme de nos
sociétés face aux problèmes de l'environnement qui concernent prioritairement
les êtres humains. Car ce qui nous choque plus que cette image, c'est
l'inertie de notre société face à la dégradation de la planète. Allons
bon, voilà qu'en plus on nous fait la leçon à nous, les femmes, qui,
osons trouver révoltante l'utilisation sempiternelle de notre anatomie
toujours plus érotisée, pornographisée et même confisquée par Hulot,
le si sympathique Nicolas qu'on voudrait avoir pour ami, chez soi.
Pour conclure, cette campagne répond à une volonté d'ouvrir
les yeux sur une réalité qui fait mal, mais aussi et surtout une volonté
de faire réagir chacun sur le rôle individuel et collectif qu'il peut
jouer pour inverser cette tendance destructrice. C'est une des missions
de la Fondation que d'informer le public pour susciter une vraie prise
de conscience générant de nouveaux comportements en vue de tisser
des liens de solidarité avec le monde du vivant et de réduire l'impact
de nos activités sur la planète. Notre avenir est entre nos mains,
il faut réagir, et vite, avant qu'il ne soit trop tard. Dans
nos mains ? Nos mains de femmes qui n'ont voix au chapitre en aucun
domaine, ni politique ni économique ni militaire ? Pauvres de
nous !!! Et alors pourquoi, encore une fois, ne pas nous montrer
un incendiaire craquant une allumette, un homme battant une femme,
un enfant, un gouvernant signant une loi qui va à jamais faire
naître des enfants difformes ? Non, il fallait recourir à un sein
! En toute innocence. Et infecter ce sein " que je ne saurais
voir " !
Cordialement,
Annabelle Jaeger
PS : pour information, sachez que cette campagne a été conçue par
des femmes, que l'équipe de la Fondation est très largement féminine
et que Nicolas hulot n¹a validé cette affiche qu'après qu'elle soit
passée dans toutes ces mains de femmes.
Que vous soyez des femmes montre bien que, si
elle n'a pas pris conscience de son aliénation, en un mot si elle
n'est pas féministe, une femme ne fait que répéter « la voix de son
maître », psittaciste et ignare de l'être, pauvre d'elle qui défend
une cause bonne avec les moyens de son dominant. Aveugle à sa propre
infériorisation.
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