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QUELLE MIXITÉ ?

par Christine Le Doaré, présidente du Centre LGBT de Paris Île-de-France
Lundi 28 novembre 2011


La présidence de SOS homophobie puis du Centre LGBT Paris IdF, une participation au Bureau exécutif de l’ILGA-Europe, m’ont forgé une solide connaissance de la mixité dans les mouvements LGBT.

Lesbienne féministe à une époque où se dire féministe était déjà en soi stigmatisant, j’ai pourtant choisi de militer au sein du mouvement mixte LGBT.

On ne peut pas, selon moi, parler honnêtement de mixité, sans poser ce postulat de base : la société dans laquelle nous vivons est toujours patriarcale.
Elle s’est construite et organisée dans un système de domination masculine et si nous constatons des évolutions, les changements sont très lents et ce n’est pas demain la veille que nous parviendrons à une égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Même si on adopte une grille de lecture queer, ambition théorique de gommer le genre, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que l’écrasante majorité de la population est toujours soumise au système patriarcal.

Ce système exerce un contrôle sur la reproduction de notre espèce afin de s’assurer d’une descendance et de maîtriser les questions de transmission et de succession. A ces fins, il lui faut s’approprier le corps des femmes et donc contrôler la sexualité.
Le système nous conditionne et exige des hommes qu’ils dominent les femmes, contrôlent la culture et l’éducation pour perpétuer les rôles et représentations sexistes assignés à chacun des deux genres. Il attend des femmes qu’elles se soumettent et contribuent à le reproduire. Depuis quelques temps déjà, le système est contesté, attaqué ; il résiste, mais peu à peu lâche du lest et invente de nouvelles stratégies pour survivre.

Le sexisme est un outil du système patriarcal ; il engendre l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie.
Le mépris du féminin est l’un des ressorts des LGBTphobies.
La sexualité prétendument « féminine » des homosexuels (tante, tarlouze, pédale…) et la sexualité immature des lesbiennes qui sans organe sexuel masculin ne peuvent que s’adonner à des caresses puériles, mais paradoxalement, ô combien excitantes, sont dévalorisées et ridiculisées.

L’homophobie et la lesbophobie sont des manifestations de peur et donc de rejet d’alternatives qui ne sont pas prévues et qui sont vécues comme des menaces du système. Celles et ceux qui ne comprennent pas le fonctionnement et les raisons d’être de ce système, le réduisent à des problèmes privés entre des personnes et en sont les meilleurs défenseurs, « elles » et « ils » vont le protéger et le diffuser.

Ce postulat de base n’est pas posé par la plupart des gens qui vont nier l’existence d’enjeux de pouvoir entre les femmes et les hommes et donc entre les lesbiennes et les gays.
En d’autres termes, comment peut-on penser, puis déconstruire un système dans lequel on ignore vivre ?

Eh bien, c’est exactement la question à laquelle nous sommes confrontés dans l’ensemble de la société mais également dans le mouvement LGBT mixte et dans nos associations.

Certes les motivations des gays seront différentes de celles des hommes hétérosexuels et pour une bonne part des revendications, il y a bien transversalité objective des luttes, en particulier pour l’égalité des droits (mariage et adoption).
Il ne s’agira pas non plus pour les gays de s’approprier les lesbiennes et leurs corps – encore qu’en matière de GPA, la question de l’appropriation du corps des femmes peut se poser.
Nous sommes toutes et tous des victimes du système patriarcal ; nous avons toutes et tous grandi et avons été éduqués dans des familles et par une école qui nous ont nourris des schémas sexistes de la domination masculine.
Certes, nous n’avons pas tous été aussi sensibles au formatage des genres, aux dogmes et aux stéréotypes et parfois même, nous les avons fortement rejetés ; néanmoins, nous avons tous été exposé-e-s à ce conditionnement et il en est nécessairement resté quelque chose.

Beaucoup de gays et de lesbiennes pensent être frères et sœurs dans un combat commun contre les discriminations, le rejet et la haine homophobes ; c’est bien entendu vrai, mais c’est déjà un peu moins vrai lorsqu’il s’agit de combattre le sexisme, la lesbophobie et la transphobie.
Le plus frappant c’est que tout ceci se vit dans la plus totale incompréhension, au point que parfois, des gays mais aussi des lesbiennes se réfugient dans le déni pour mieux se protéger et éviter de se confronter à des contradictions qui deviendraient alors insoutenables.

Combien de gays réalisent qu’en tant qu’hommes, ils n’ont pas eu la même éducation que les femmes ; qu’ils ont été habitués à exister dans l’action, à s’affirmer, à prendre leur place ? Admettent-ils que même discriminés en tant que gays, ils bénéficient malgré tout en tant qu’hommes, des avantages du groupe des hommes ; qu’ils ont plus de moyens matériels et financiers, plus de solidarité… ; en résumé qu’ils disposent de plus de ressources et de pouvoir ?
Comment faire prendre conscience à un gay qui ignore être le vecteur d’un système d’oppression qu’il contribue à le reproduire et qu’il lui faut se remettre en question et le combattre ?
D’ailleurs, quel pourrait bien être son intérêt à se désolidariser du groupe des hommes dont il a déjà tant de mal à être accepté, de ce groupe qu’il souhaite tant convaincre et séduire, et parfois même à tout prix ?
S’il ne comprend pas que c’est la seule chance de vivre un jour dans une société égalitaire, libre de sexisme et donc d’homophobie, il n’y mettra guère de bonne volonté.

Quant aux lesbiennes, certaines déconstruisent le système patriarcal et le combattent, osent se revendiquer féministes – « le féminisme c’est la conscience que les femmes sont des êtres humains comme les autres » – d’autres restent inconscientes des perversions du système ; d’autres encore, admettent les inégalités et injustices, mais comme par mimétisme vont opérer un raccourci opportuniste, se désolidariser du groupe des femmes pour s’identifier à celui des hommes.
Elles s’enferment alors dans le déni et considèrent que seules les autres femmes sont concernées par le sexisme.
J’en ai rencontré un certain nombre dans le mouvement LGBT, également dans le mouvement de lutte contre le sida où, engagées à 100% aux côtés des gays, elles nient trop souvent leur double oppression de femmes et de lesbiennes et réussissent l’exploit de ne quasiment jamais s’intéresser aux spécificités des revendications et luttes lesbiennes et féministes.
Elles considèrent par exemple tout à fait normal de tout savoir ou presque de la prévention et sexualité des gays et en particulier du VIH-sida ; en revanche, elles n’envisagent pas une seule seconde de les embêter avec leur prévention et encore moins avec leur sexualité ; il faut dire aussi qu’à moins d’être préparée à faire face à diverses pâleurs, soudaines fatigues et mines effarouchées…
Comment faire comprendre à une lesbienne que non, elle n’est pas née « du bon côté de la barrière » de ce système d’oppression et que sans solidarité avec le groupe des femmes, sans lutter pour l’égalité réelle entre les sexes, elle n’aura jamais que l’illusion de sa propre libération, car l’aliénation des autres femmes la menace et l’entrave toujours, elle aussi.

Par quel étrange miracle pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?
Si nous ne comprenons pas pourquoi l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie sont directement liées au sexisme du système patriarcal, nous passons à côté de l’essentiel car sommes alors incapables de déconstruire le système en profondeur et infailliblement nous reproduisons au moins les mêmes préjugés et comportements de domination / soumission que dans le reste de la société.

On trouve même à la marge du mouvement LGBT des relais inattendus et redoutablement efficaces du patriarcat, qui sous couvert de radicalité, reproduisent les modes de fonctionnement de l’oppresseur, confisquent la parole des féministes, assènent des théories néolibérales « post-féministes » sur la mise à disposition des corps humains, se rendent complices des violences et de l’exploitation des industries du sexe… et ne changent rigoureusement rien à l’ordre établi de la domination masculine ; tout juste et pour les plus naïf-ve-s d’entre nous, substituent-ils un modèle de système patriarcal à un autre.
Beaucoup d’hommes hétéros comme gays adorent les slutwalks, « Marches des salopes » – ou plus exactement ce qu’elles sont devenues dans les pays occidentaux – qu’ils soutiennent et alimentent sans réserve ; que les femmes s’affirment libérées par les industries et mafias du porno et de la prostitution leur convient à merveille et ne remet en rien leurs privilèges en question, bien au contraire. Rien n’est plus facile que d’instrumentaliser la libération sexuelle des femmes, soit pour les enfermer dans un ordre moral, soit pour les utiliser et les exploiter à des fins commerciales et/ou idéologiques.
Il est d’ailleurs très révélateur que l’exploitation, aussi dégradante soit-elle, des êtres humains par ces industries soit la seule exception que des « alternatifs » ou révolutionnaires supportent et vont même jusqu’à défendre haut et fort.

Sans aller jusqu’à de tels extrêmes, il est probable que longtemps encore, nous entendrons des gays se plaindre que les lesbiennes ne sont pas investies dans le mouvement mixte LGBT.
Pourtant, s’en plaindre sans être réellement prêts à se remettre en question et lâcher pouvoirs et privilèges, ne rime à rien.

Il faut en être conscient, les moyens à mettre en œuvre pour commencer à challenger de façon authentique le système patriarcal, sont conséquents. Nous sommes face à un très grand résistant.
C’est pourquoi la plupart des lesbiennes conscientes des travers de la domination masculine n’approchent pas ou ne restent pas bien longtemps dans le mouvement mixte LGBT.
Elles abandonnent face au peu d’empressement de la plupart des gays à comprendre, admettre puis commencer de déconstruire le système, le tout, dans une démarche féministe.
En revanche, elles se retrouvent beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense dans des groupes féministes ou radicaux, non mixtes, dans les milieux universitaires notamment mais pas seulement.
Seule une poignée de militantes lesbiennes féministes parvient à fonctionner aux avant-postes du mouvement LGBT mixte, dont elles portent les revendications communes tout en s’affirmant féministes et en challengeant le sexisme. Le risque étant de s’épuiser dans une forme d’isolement et d’incompréhension, d’autant plus, il faut bien le reconnaître, que les résultats sont très modestes.

Malgré tout, on peut considérer, et c’est mon cas, qu’il n’y a pas vraiment d’autre alternative et que la société étant mixte, il faut s’y confronter pour avancer, aussi mineurs soient les résultats.
Je sais que je diverge sur ce point avec de nombreuses lesbiennes féministes et radicales séparatistes, mais pour ma part, j’ai toujours pensé que rester entre soi n’apporte pas grand-chose à la déconstruction du système patriarcal. Bien entendu, il est en revanche souhaitable d’imposer des espaces non-mixtes pour se ressourcer et apporter tant à la réflexion qu’aux actions, aussi pour le plaisir de se retrouver entre soi.
Ces fameux espaces non-mixtes lesbiens qu’il faut pourtant justifier et arracher perpétuellement, la plupart des gays nous opposant que dans ce cas, il leur faut aussi un espace non-mixte. Ils disposent pourtant en grande quantité de lieux non mixtes, mais surtout, ils n’ont le plus souvent pas conscience, tant ils ont l’habitude que partout le masculin l’emporte, qu’ils sont dans une mixité toute relative et qui leur est d’une façon écrasante favorable, puisque le rapport est en général et au mieux, aux alentours de 70% gays /30% lesbiennes et ne parlons pas des Trans. archi minoritaires.

Le constat est sans appel, la plupart des associations et structures mixtes LGBT ne comporte que peu de lesbiennes. En outre et même si ça fâche, il faut bien le dire, nombre d’entre elles sont tout de même, des lesbiennes « alibis », c’est-à-dire n’apportant en réalité pas de remise en cause fondamentale du système et contribuant au ronronnement général et contre-productif avec un niveau de réflexion proche de zéro sur la question du sexisme. Allons-donc, elles féministes ? Mais vous n’y pensez pas ! Elles ne sont surtout pas féministes car conformément aux clichés et idées reçues, elles craignent de perdre alors en « séduction » et en acceptation.
Elles ne remettent en question aucune certitude ni privilège et restent bien à leur place, en somme, très chouette tout çà pour le narcissisme et j’exagère à peine.
Plus d’une ou deux lesbiennes féministes dans le groupe et c’est panique à bord, ces messieurs et même ces dames, sont dépassé-e-s ; les féministes finissent par s’en aller, quelques unes, un peu plus tenaces, restent ; rien ne change vraiment en profondeur.

Mais alors, quelles sont les chances d’aboutir un jour à une meilleure compréhension et à plus de convergence ?
Je ne sais pas. Force est de le reconnaître, il y a le plus souvent eu consensus relativement à la gestion, au fonctionnement et développement des structures que j’ai présidées, consensus également sur l’apport aux luttes pour l’égalité des droits et pour nos libertés ; en revanche, mon assiduité à avancer à visage découvert sur des positions féministes et non pas « néo » ou « post » féministes, à affirmer que l’égalité des droits c’est bien mais pas non plus une fin en soi, à rappeler qu’il n’est pas interdit d’aller au-delà et de réfléchir à une société plus juste, plus égalitaire et plus libre pour toutes et tous… ont suscité de fortes résistances et parfois de violentes oppositions que j’ai toujours assumées puisqu’il ne pouvait pas en être autrement.
C’est un fait, les féministes ça dérange, en revanche, les néo ou post-féministes, c’est un peu comme les chouettes compensations narcissiques, on adore, ça passe très bien ; mais féministe c’est du lourd ; vous comprenez, ces histoires de patriarcat et de déconstruction, de perte de privilège et d’égalité réelle, c’est tout de même moins drôle.

Le résultat obtenu n’est vraiment pas à la hauteur de l’énergie et de l’effort dispensés ; pas encore. En outre, je ne vois guère que deux solutions pour avancer :
- Il faudrait plus de lesbiennes féministes capables de déconstruire le système et de travailler à une égalité réelle, investies simultanément dans le mouvement mixte LGBT ; çà je l’ai souvent dit, mais n’ai pas été entendue ou si peu ;
- Il faudrait que la plupart des gays travaillent à la déconstruction du patriarcat. J’affirme qu’il leur appartient bien de s’informer et de se former (les outils théoriques, les expériences et les allié-e-s sont disponibles) ; dans tous les cas, la résistance est malvenue et le dénigrement voire le rejet et la violence envers les rares lesbiennes féministes qui tentent de nous ouvrir les yeux et de nous réunir, est tout à fait malveillante et déplacée. Je ne l’ai pas assez dit, probablement me suis-je autocensurée devant le peu d’écoute et d’enthousiasme.

Tant que nous resterons dans le déni, au mieux l’affichage et les bonnes intentions et que ne seront pas mis en œuvre des moyens à la hauteur des enjeux, nous ne ferons au mieux, que du sur-place.
Le mouvement LGBT qui a fortement contribué à une évolution des mœurs ces dernières années, a les moyens de devenir un véritable mouvement de libération et d’émancipation profitables à toutes et tous ; encore faut-il qu’il le veuille. Pour l’instant, il ne l’a pas encore démontré, il est même possible de considérer que sur la question de la mixité, il s’en éloigne ; dans les années 70/80, il y avait bien plus d’échanges sur ces questions fondamentales et structurantes.
Il n’est bien entendu pas trop tard, mais il va falloir se réveiller et donner toute sa place à ce postulat de base que la plupart d’entre nous, nous complaisons à éluder : la domination masculine patriarcale est toujours la clé de voûte de la société dans laquelle nous vivons, ce doit aussi être l’une des priorités du mouvement LGBT mixte, de la mettre à bas.

Christine Le Doaré


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Dernière mise à Jour : 30 novembre, 2011